95.
Anton Birnbaum versa d’une main tremblante du porto Sandeman dans des verres, pour Caitlin et lui-même.
Il avait l’impression d’avoir au moins mille ans.
Il souffrait d’une violente migraine due à ses récentes insomnies et à son hyperactivité mentale. Dans la pâle lumière du jour qui filtrait dans son appartement, il se rendit jusqu’à la fenêtre et contempla les rues de sa chère ville de New York.
Caitlin Dillon, guère plus brillante après toutes ces heures sans dormir, prit une cigarette dans son sac. Elle s’apprêtait à l’allumer mais elle se ravisa. Elle avait la gorge irritée et éprouvait une forte tension derrière les yeux. Elle savait qu’il lui faudrait tout simplement une bonne nuit de sommeil. Birnbaum et elle attendaient de connaître les suites de l’affaire Green Band ; ils attendaient des nouvelles de Carroll. Caitlin comprenait désormais à quoi ressemblait la vie d’une femme de policier.
— Nous connaissons en partie ce que nous avons besoin de savoir, fit Birnbaum. Il y a deux ans, à Tripoli, Monserrat a rencontré des chefs d’État de pays en voie de développement. Il s’est notamment entretenu avec les dirigeants de pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient. Les chefs des armées de ces nations ont également assisté à ces réunions. (Le vieil homme s’écarta de la fenêtre.) Je suis convaincu qu’ils ont ourdi un complot pour paralyser le système économique occidental. L’objectif de ce complot était que, tôt ou tard, le cartel prenne le contrôle de l’ensemble du marché boursier américain.
Caitlin avait très mal à la tête, maintenant. Un petit lutin sadique, armé d’un marteau-piqueur, lui perforait l’intérieur du crâne à la recherche de Dieu sait quoi. Elle pensa à Carroll, en train de traquer Green Band. Comment se faisait-il qu’ils n’aient pas encore eu de ses nouvelles ?
— Au printemps, notre nouveau président a eu vent du complot de Tripoli. Plus important encore, le Comité des Douze a dû en être informé aussi. Et ils ont été beaucoup plus rapides à réagir que Kearney ne le pouvait à Washington. (Les yeux du vieil homme devinrent aussi froids qu’un feu qui s’éteint subitement.) Caitlin, je pense qu’ils ont créé Green Band pour contrecarrer ce complot. En réalité, ce sont les Douze qui ont volé les milliards des Arabes. Maintenant, ils leur revendent leurs propres actions. Green Band est un trompe-l’œil[25] brillant, la plus grande imposture qui soit. Il s’agit d’une guerre mondiale économique. La première dans son genre – à moins qu’on n’inclue l’embargo pétrolier des années soixante-dix.
Si n’importe qui d’autre que Birnbaum avait lancé de telles accusations, émis des hypothèses de ce type… songea Caitlin. Mais c’était Birnbaum. Et il pensait sérieusement tout ce qu’il avançait…
— Quelle est la place de Hudson dans tout cela ? demanda-t-elle.
— Ah ! l’énigmatique David Hudson. (Le financier laissa un sourire glisser sur son visage.) J’ai longuement réfléchi au cas du colonel Hudson. Soit il est à la solde du Comité des Douze… soit ceux-ci les utilisent sans vergogne, lui et son groupe de vétérans. Ce ne serait pas la première fois, n’est-ce pas ? Ça ne serait pas la première fois que ces hommes seraient utilisés par ceux qui détiennent le pouvoir dans ce pays. Quoi qu’il en soit, nous le découvrirons d’ici quelques heures. Nous connaîtrons bientôt la vérité, n’est-ce pas ?